Hanmar ouvre les yeux. Il jette un œil à l’heure qu’il est : dans deux minutes il doit se lever pour se préparer à prendre son poste. En se levant, il regarde tendrement Karda qui se réveille doucement. Elle aussi doit se lever pour entamer sa journée de travail. Malgré sa grossesse avancée, on a réussi à lui trouver un poste adapté, celui de s’occuper des demandes de matériel nécessaire au bon fonctionnement des hangars.
Après une toilette rapide, le Maître Naviguant s’apprête à quitter ses quartiers, quand il remarque le regard de sa femme, perdu dans le vague.
“Ça va pas ?
- Hein ? Oh, désolée. Non, ça va. Je repensais à… des trucs.
- Ah. Des trucs bien, ou… ?
- Des trucs.”
Elle détourne le regard, mais Hanmar a le temps de repérer les larmes lui monter aux yeux. Il s’approche d’elle et lui attrape la main.
“Je suis pas fortiche, mais ça se voit que ça va pas.”
Elle hausse les épaules, le regard toujours détourné. Elle finit par se tourner vers lui, les yeux embués.
“Je suis désolée. C’est juste que… Ça fait quelques semaines que je suis là. J’ai été bien accueillie, et tout, et on prend bien soin de moi, et… Et je suis motivée pour retrouver Noï, et… Je me sens bête. Depuis hier, je pense à Sindri.
- Tu… tu veux y retourner ?
- Sois pas con. C’est juste que… J’ai, comment ça s’appelle ? Le mal du pays, je crois. C’est bête, hein ? C’est même pas chez moi, au départ. Alors, pourquoi ?”
Hanmar ne répond pas, mais garde la main de sa femme dans la sienne.
“Je sais pas trop quel jour on est, là, reprend-elle. C’est bientôt la période des chants de Sona. Ah, oui, tu connais pas. Sona, c’est comme ça qu’on appelle l’étoile du système. Enfin, c’est pas son vrai nom, mais c’est comme ça qu’on l’appelle. Une fois par an, elle émet des sortes de rayonnement de je sais pas quoi, apparemment c’est quelque chose qu’on voit pas ailleurs. C’est pas des rayonnements qui se voient, c’est invisible. C’est même pas dangereux. Eh ben, sur Sindri, ils ont des appareils qui transforment ces rayons en son. C’est beau. Non, beau, ça va pas : c’est magnifique. C’est le son le plus pur que j’ai entendu de ma vie. Ça fait une mélodie, et sur la station tous ceux qui le peuvent se retrouvent sur la place des spectacles, et on écoute ça. On est des centaines, des gamins, des vieux, des hommes, des femmes. Pendant deux ou trois heures, on écoute, et on est bien. On se sent pas comme les autres, on est entre nous, on sait qu’on est des gens privilégiés. À ce moment-là, on est Sindri. La vie là-bas est pas facile. Mais dans ces moments-là, on oublie, on se dit que ça vaut le coût.”
Karda s’arrête un instant, elle reprend son souffle. Elle rit faiblement.
“Il y a cette fleur que j’aime bien. Tu vas rigoler, parce que j’ai jamais eu de fleurs, je m’en foutais. Ben cette fleur, une tige violette et des pétales bruns, elle sent comme… ça me fait penser à l’odeur de la pluie sur la terre. Tu te rappelles, sur Haras, dans notre premier appartement, dès qu’il pleuvait on sentait ça, avec la poussière dehors. Cette fleur, elle est moche, mais j’aime bien son odeur, et il y a que sur la station que je l’ai trouvée.”
Elle secoue la tête, balaie une larme sur sa joue d’un revers de main, et sourit.
“Désolée. Je suis contente d’être là, avec toi. Et avec tous les autres, aussi. J’ai juste eu un coup de mou. Ça va aller, t’inquiète pas. À ce soir.”
Après une bise sur la joue de son mari, elle prend une veste et quitte les quartiers. Hanmar sort à son tour, se dirigeant vers son poste. Il marche quelques minutes, avant de s’arrêter, et prendre une toute autre direction. Il se dirige vers l’un des hangars.
Une heure plus tard, il revient à ses quartiers et dépose l’objet de sa recherche sur la table. Il a fallu jouer de son autorité, et menacer le gérant du hangar numéro 5 de dénoncer le détournement de marchandises dont il est responsable, mais il a eu ce qu’il voulait. Hanmar n’avait pas l’intention de rapporter le comportement pas très professionnel du gérant, celui-ci se contentant de faire disparaître une ou deux broutilles de temps en temps, rien d’important. Principalement, le gérant est passionné de botanique diverse, ce qui n’est pas simple à assouvir dans l’espace.
Il a réussi, d’une manière ou d’une autre, à s’approprier quelques plantes provenant de Sindri.
Hanmar regarde le pot en métal contenant la fleur à tige violette et pétales bruns. L’odeur est effectivement satisfaisante.
Il sait que Karda sera rentrée avant lui. Satisfait, il quitte les quartiers.